La Guerre civile (755-759): ?uvre poétique II
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La Guerre civile (755-759): ?uvre poétique II Details
Ce volume de l’œuvre poétique de Du Fu (712-770) comprend 109 poèmes rédigés pendant la première phase de la guerre civile qui déchire l’Empire des Tang, du début de l’hiver 755 au début du printemps 759. Durant cette période, les deux capitales impériales, Luoyang et Chang’an, furent occupées et pillées par les forces rebelles du général An Lushan. L’empereur Xuanzong est contraint à la fuite en juillet 756, son départ provoquant l’effondrement du régime et la fin d’un âge d’or ; son fils, Suzong, prend les commandes de la résistance loyaliste et reconquiert la plaine centrale et les deux capitales en 757, au prix d’un lourd bilan humain. La rébellion se replie au nord et parvient à reconstituer ses forces, faute pour Suzong et son gouvernement d’avoir su profiter de leur avantage. En avril 759, l’armée impériale sera défaite à nouveau.Du Fu chante sur un mode épique la chute de l’Empire, la désolation des défaites, la précarité des grands et des humbles, et l’espoir de la reconquête. Sa voix, que les épreuves personnellesmûrissent, est à la hauteur de l’Histoire qui se déroule sous ses yeux : plusieurs de ces textes sont devenus, au fil des siècles, des monuments comparables aux plus belles pages des tragédies de Shakespeare ou des épopées de Victor Hugo.La restauration de l’ordre impérial en 758 n’apporte pas le réconfort attendu. Le sort s’acharne sur Du Fu qui est limogé de la Cour dans le cadre d’une purge qui touche ses protecteurs et ses collègues. Rétrogradé à un poste d’administrateur dans une préfecture, il constate l’écart entre son ambition politique et la réalité des désordres. Ses poèmes deviennent caustiques et dépressifs, car « quand le vent d’automne mugit dans le ravin, l’orchidée émeraude perd son fragile parfum … quand les honneurs l’emportent sur les mérites, au soir de la vie on connaît de sévères gelées ».

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Janvier 756, Chine. Conduites par le général félon An Lushan, les troupes rebelles se sont emparées de l??une des capitales de l??Empire des Tang, Luoyang. L??autre capitale, Chang??an, est prise à son tour le 18 juillet. Une période particulièrement sanglante et troublée s??ensuit, au cours de laquelle l??empereur Xuanzong accepte de s??effacer au profit de son fils, Suzong (la concubine de Xuanzong, Yang Guifei, a été conduite au suicide). De son côté, An Lushan est assassiné par son propre fils, An Qingxu. Pour les contemporains, voir vaciller le pouvoir impérial et le désordre triompher partout est un traumatisme inimaginable. Avec le renfort des cavaliers ouigours (ce qui, au vu de l??actualité de 2018, ne manque pas de sel), les capitales sont finalement reprises par les impériaux en novembre et décembre 757. En 759, repoussé au Nord, An Qingxu est finalement exécuté par un autre rebelle, Shi Siming, mais la guerre civile durera encore quatre ans.Un fonctionnaire impérial, du nom de Du Fu, connaît comme d??autres beaucoup d??épreuves durant toute cette période : séparé de sa famille, dont il demeure sans nouvelles, il est un temps capturé par les rebelles, puis relâché, mais, du fait de la disgrâce de son protecteur, il est finalement muté à un poste subalterne en 758, loin du premier cercle du pouvoir, et ses conseils sur la conduite de la guerre sont ignorés.Les poèmes qu??il a écrits dans cette période (755-759) font l??objet de ce volume exceptionnel de plus de mille pages, paru aux Belles Lettres en 2018 (beau papier, belle impression). Outre une copieuse introduction, les textes originaux sont mis en regard de leur traduction, et chaque poème est suivi d??une notice explicative. Nicolas Chapuis, l??auteur des présentations et des traductions, est aussi diplomate ; il a été en particulier Consul général de France à Shanghai, puis Ambassadeur de France en Mongolie, puis Ambassadeur de France au Canada.Unanimement considéré comme l??un des plus grands poètes de l??histoire de la littérature chinoise, Du Fu est un témoin de son temps qui refuse (comme Lucain avant lui) de construire une tour d??ivoire loin du tumulte du monde. Il exprime le point de vue d??un lettré attaché à l??Empire et d??un homme en proie à la solitude et au désarroi depuis que « Les concubines ont pleuré sur leurs manches rouges/ les princes de sang ont fui en robe blanche [?] Le palais incendié, le feu a brûlé jusqu??à l??aube/ Les paravents ont été renversés le matin/ Les poutres se sont effondrées dans la nuit » (p. 431). C??est la fusion entre l??expression des sentiments personnels et le reportage sur un quotidien déboussolé et violent, comme si Joachim du Bellay rencontrait CNN, qui fait de ces poèmes ciselés quelque chose de tout à fait à part, chronique d??un temps, cri du c?ur d??un patriote blessé, confession d??un esprit égaré en quête de paix et de salut.Si certains textes se font l'écho de nouvelles privées (des nouvelles de son frère, de sa femme, de ses enfants) plusieurs poèmes célèbrent les départs de hauts personnages qui partent en mission. Ainsi le poème 137 que je viens de citer s??appelle « Trente rimes présentées pour saluer le départ du vice-président du censorat et ministre de la cour des Equipages impériaux, Guo Yingyi, nommé gouverneur de la région militaire de Longyou ». En connaisseur, Du Fu apprécie les titres, les promotions, les marques de la faveur céleste. Le souci de l??étiquette et de l??ordre bureaucratique qu??il conserve au milieu du chaos et des périls a quelque chose de dérisoire mais aussi de particulièrement touchant, venant de quelqu??un qui n??a pas connu la faveur de ceux qu??il a servi avec zèle. Quelle joie est la sienne quand le vent tourne et que la victoire de l??armée impériale ne fait plus de doute (poème 150) ! Le poète sait que le monde où plus rien ne suscite le respect est le plus dangereux de tous.Ensevelis par l??oubli, les événements associés à la révolte d??An Lushan revivent à travers ces poèmes qui à chaque lecture ravivent les braises de l??histoire.PS. On note dans les compléments du volume les sujets de concours impériaux donnés en décembre 758 (ou janvier 759) par un Du Fu toujours soucieux du bien public. En voici un extrait qui se passe de commentaires (p. 947) : « les impôts et les taxes ne suffisent pas à couvrir les besoins des armées en campagne ; si on devait momentanément contraindre de nouveaux prélèvements, la population se retrouverait en grande souffrance. Vous direz quelles sont les réponses à cette situation, en ayant à l??esprit la réalité de la question, la lumière de l??innovation et le fondement de vos convictions ». J??ignore si les meilleures copies ont été conservées.


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